Comme la célèbre valse Wienerblut, mon sang est surtout viennois !
C'est à dire un mélange subtil de gastronomie roborative et de littérature raffinée...
Bistros & tavernes de l'ancienne Vienne
Wiener Lebensart – L’art de vivre viennois...
Les Beisln (bistrots) et les Heurige (tavernes) sont des institutions typiquement viennoises où coulent à flot le vin blanc et la bière, accompagnés d’une montagne de charcuterie ou d'une savoureuse escalope, la Wienerschnitzel, d’un ragoût de bœuf, le Spitztaffel, d’un pâté de foie chaud, Leberkäse, ou encore le Kaiserschmarn, une pâte à crêpe en morceaux avec sucre glacé et raisins de Corinthe ou les Palatschinken, crêpes au fromage blanc ou à la confiture d’abricot…
Die Gemütlichkeit : terme allemand intraduisible, entre bien-être et félicité !
"Manger et boire, voilà ce qui garantit l'équilibre de l'âme et du corps"
(dicton viennois)
Avec Opa et Oma (Pépé et Mémé, en allemand) nous allions chez Riedl, un des plus ancien Wirthaus (bistro) de Vienne située juste en face de chez nous.
Une auberge de la Vienne ancienne, Alt-Wien Gaststätte, aujourd'hui disparue et qu'on aurait mieux fait de classer monument historique : l'empereur François-Joseph y serait venu, paraît-il ?
Véritable Heuriger (taverne à vin), une treille de vigne en signalait l’entrée. Sur le seuil, à peine entrés, la lecture des menus notés à la craie nous mettait l’eau à la bouche.
La porte s'ouvrait sur une salle où des volutes de tout ce qui pouvait se fumer planaient sur un joyeux brouhaha. Il y avait une vingtaine de tables en bois et des chaises aux fleurs peintes, découpées au milieu en forme de cœur.
Il y avait surtout la Stammtisch, réservée aux seuls habitués, toujours située dans les coins les plus sympas avec des banquettes qui font l’angle.
Sur chaque table étaient posés des dessous de verre à bière aux marques multiples, la folie des collectionneurs. L’habitude était d’y placer souvent un mini bouquet d’épices séchées et l’omniprésent flacon d’Underberg, sorte de Fernet-Branca en moins mauvais, supposé aider les goinfres à digérer !
Des portraits de l’empereur François-Joseph, et sa beauté Sissi, étaient peints à l'huile sur les murs ainsi que des scènes bucoliques de montagnes, de lacs, de chasse et des vues de l’ancienne Vienne, Alt-Wien, recroquevillée dans ses murailles…
Ici, des portemanteaux, là, des journaux accrochés sur leurs présentoirs : Kronen Zeitung, Bild pour le tout-venant, Kurier, Die Presse ou Wiener Zeitung pour les plus éclairés. Il y avait aussi l’impressionnant comptoir de bois vernis et de zinc d’où partaient des centaines de chopes à bière dégoulinantes de mousse, Krügel, Seidel, des carafes de vin.
On venait là aussi pour s’empiffrer d’une gastronomie populaire, certes roborative, mais toujours succulente !
Les serveurs, Kellner (les cavistes) couraient en tous sens, vêtus d’une chemise blanche et d’un pantalon noir recouverts d’un tablier vert à bretelles qui descendait mi-mollets.
Des roues de chariots décorées de guirlandes de houx, de vigne, de sapin et d’ampoules, pendaient du plafond et illuminaient un petit monde de joueurs de cartes et de buveurs insatiables.
Il y avait aussi des gens plus calmes, comme ceux qui lisent les journaux et les amoureux qui se bécotent dans l’ombre. Sur ces îlots typiquement viennois, règne une atmosphère d'antan. Les intellectuels vont au « café » et les petites gens vont chez le Wirt. Chacun a une bonne raison pour s’y réfugier : détente rigolarde en famille, poivrot qui refait le monde, cocu qui veut oublier, étudiant inquiet, amoureux pleins d’illusions…
Pour quelques Bretz'l et Salzstang'l, des bâtons de sel, avec mon cousin Erich et mon grand frère nous ramassions des quilles de bois sur la piste du sous-sol où il y avait un Kegelbahn. On vidait les chopes qui traînaient sur les tables. On portait alors une Lederhose, la culotte de cuir traditionnelle et parfois un Tiroler Hut, le chapeau tyrolien.
Parfois, des orchestres tsiganes ou hongrois assuraient l’ambiance avec des airs populaires viennois : « Wien, Wien, nur du allein… ».
On ne pouvait résister à reprendre en chœur : « Vienne, Vienne, toi seule… ». Aujourd’hui encore, lorsque je retourne « chez moi » à Vienne, je ne manque jamais d’aller pousser la chansonnette chaque soir dans un Beis'l différent, après plusieurs Gösser et un Schnitzel !
Jadis, des chevaux tiraient des attelages de tonneaux monstrueux que des Gargantua manipulaient à l’aide d’un treuil. En fin de soirée, rigolards, on n’avait que quelques mètres à parcourir pour rejoindre la maison. Opa était blau (= bleu,pompet) et Oma lui faisait la leçon. On s’endormait tous sous les couettes, bercés par les ronflements de stentor des grands-parents.
Depuis cette lointaine époque, j'aime venir fréquemment me rassasier de bière, vin blanc, Wiener Schnitzel (la célèbre escalope panée viennois), gâteaux effrayants et autre Schaps, tout en devisant sur le monde et moi-même...
Si l'empereur Marc-Aurèle, adepte et héraut du stoïcisme, est mort à Vienne aux limites de la "barbarie", je partage plus volontiers son opposé : un épicurisme vulgaire, non celui, noble, d'Epictète, mais celui tel qu'il est compris et partagé par le vulgum pecus d'aujourd'hui !
(Sagesse du dialecte viennois)